Monsieur
Rieu, vous dirigez un grand orchestre, enthousiasmez des millions de gens avec votre
musique.
Etes vous une personne disciplinée ?
En principe. Si je ne suis pas en tournée, je me lève chaque
matin entre 6h30 et 7 h.
Comment commence votre journée ?
Toujours avec la
musique. Marjorie et moi nous écoutons ce que j'ai enregistré au studio. Après, je suis
toujours très tendu par son jugement.
L'opinion de votre femme est importante ?
Oui, très. Si
Marjorie chante un des mes nouveaux morceaux, je sais que c'est bon. Si elle reste muette,
quelque chose ne va pas. Et le plus souvent, elle a raison.
Marjorie semble déterminer votre
vie. Que représente-t-elle pour vous ?
Tout. Simplement tout. Je
dis toujours, si elle n'avait pas été là, j'aurais probablement atterri dans le
caniveau. Marjorie était et est mon catalyseur.
Comment avez-vous fait
connaissance tous les deux ?
C'était
en 1962. Elle allait en classe avec ma soeur . Elle avait 15 ans, moi 13. Je me trouve
mieux avec les femmes mûres (rire). Marjorie avait depuis toujours un petit quelque chose
qui m'a attiré. Quand nous nous sommes rencontrés de nouveau plus tard, jeunes adultes,
l'étincelle a jaillit immédiatement. Nous sentions que nous faisions la paire.
Qu'est ce donc qui vous fascine
ainsi chez elle ?
Je ne le sais
pas moi-même exactement, même après autant d'années . C'est un mariage mystérieux,
jusqu'à aujourd'hui.

Votre amour n'a pas souffert depuis que vous êtes autant en
chemin ?
Il est sûrement
difficile, puisque tous les deux nous dirigeons en principe deux vies : une indépendante
et une commune. Chacun doit avoir ses propres tâches auxquelles il s'identifie. Nous nous
comprenons parfaitement et éprouvons nos deux moments de bonheur. On doit pouvoir lâcher
l'autre, on ne peut lever aucun droit de possession. Ainsi un mariage reste jeune et
frais. En outre, nous avons toujours travaillé durement, depuis longtemps avant que
le succès explose . Maintenant, je suis six mois par an parti de la maison - travaille
sur des tournées, à des rencontres et d'autres obligations.
Le succès a beaucoup d'envieux. Vous n'en
êtes pas protégés. Quel est donc ce bruit, vous auriez acheté une maison à Hambourg
pour être plus souvent près de votre bien-aimée et manager Petra Heimberg?
Mettons les choses au
point une bonne fois: j'aime Hambourg, c'est une ville avec beaucoup de manières de
vivre. Petra Heimberg n'a jamais été ma bien-aimée et elle ne travaille plus, depuis un
an, pour moi. Maintenant, ces bruits appartiennent donc au show-business. Je peux bien
vivre avec cela.
Et votre Marjorie ?
Elle sait tout. Si je suis
allé, par exemple, avec Petra pour l'attribution d'une récompense, j'ai demandé avant
à Marjorie, si elle trouvait cela bien . Elle évite elle-même le public. La
conséquence : A peine suis-je vu trois fois avec une femme, qu'on nous attribue
immédiatement un rapport ambigu . Marjorie peut vraiment seulement en sourire. Elle sait
: c'est le métier.
Elle n'a encore jamais dit : André, j'ai
appris que ou j'ai lu que... nous devons parler ?
Encore jamais. Nous
nous faisons confiance l'un à l'autre, profondément. C'est la base de notre amour. Et la
base de mon succès.
Vous n'avez aucun secret
devant votre femme et les enfants ?
Non. Je ne sais pas
mentir. On voit tout sur mon visage; rage, déception, joie, bonheur. Chacun me dit qu'en
me regardant, on sait ce que je pense.
Si un jour votre femme disait : Ecoute, il
y en a un autre
?
Ce serait ma fin, je
mourrais. Je ne veux pas du tout y réfléchir. Je ne pourrais plus exister.
Ce serait l'unique raison de ne pas devenir vieux.
Vous marieriez vous avec Marjorie encore
une fois ?
Une question
difficile, mais j'y ai déjà pensé . Nous nous sommes cherché et trouvé. Beaucoup de
garçons ont fait la cour à Marjorie, mais elle s'est décidée pour André parce qu'il
avait autre chose que les autres.

Le père de Marjorie habitait Berlin, il a émigré dans les
années 30 à Maastricht. Connaissez-vous ses racines ?
Clairement, je suis
allé à Neukölln et à Treptow, mais les deux maisons dans lesquelles il a vécu, ne s'y
trouvent plus. Lui et sa femme avaient une grande collection de vieux disques, Marjorie a
grandi avec ceux-ci et elle les a apportés dans le mariage. Elle connaît toutes les
mélodies du Berlin des années 20 par coeur. J'ai grandi exclusivement avec la musique
classique, j'ai été agréablement surpris par les mélodies de Paul Lincke et les
chansons de Zarah Leanders. C'est ainsi que j'ai commençé à jouer une musique plus
légère avec mon orchestre de salon. Cela correspondait beaucoup plus à mon
caractère. Marjorie et moi avons cherché alors, via une petite annonce, la musique des
années 20. Nous avons reçu des milliers de partitions. Nous avons trié tout et Marjorie
a décidé de ce que je devrais jouer ou non. Je peux lui faire une confiance aveugle.
Vous faites vous toujours couper
les cheveux par elle ?
Parfois. Entre temps, je le
fais moi-même . J'ai du apprendre parce que Marjorie est souvent à Maastricht, si je
suis en tournée
Pourtant, vous pouvez vous permettre un
coiffeur
Je déteste
ça, cela m'est totalement étranger. En plus, j'ai une "tête d'oeuf", et avec
les longs cheveux c'est pas étonnant, ma foi c'est bien ainsi
Combien de frac,
possédez vous ?
Huit
Tous achetés ?
Non. Marjorie et moi
dessinons le projet du frac, je choisis les tissus. Une tailleuse vient chez nous à
Maastricht, prend mes mesures et coud le frac. Quand je part en tournée, j'emporte
toujours huit fracs.
Tous différemment ?
Non - tous les
mêmes. Quand je me trouve sur la scène, je transpire et je dois me changer pendant un
concert. C'est normal.
Vos musiciens aussi portent le frac.
Oui. Les musiciens
ont aussi leur garde-robe de scène en quatre exemplaires. C'est valable pour tous. Mais
pour la garde-robe de scène de mes musiciennes, il y a une belle histoire.
Racontez-nous donc cela !
Volontiers. La
garde-robe de mes musiciennes est fabriquée par deux jeunes femmes. Elles m'avaient
montré, il y a longtemps, leurs projets qui me plaisaient beaucoup. J'ai dis : "De
cela j'ai besoin de 130 pièces". Et tout dans les trois mois. Vous les créez
?
Et qu'ont-elles fait ?
Les jeunes femmes ont
dodeliné de la tête, elles ont engagé neuf autres couturières et travaillé, comme
prévu, tous les vêtements étaient prêts dans les temps. Entre-temps, les deux ont
fondé une société. André Rieu crée des emplois à Maastricht !
Sympa non ?
A côté de Marjorie, votre
frère Jean-Philippe travaille aussi pour vous. Construisez-vous un empire famillial ?
Il est depuis deux ans chez
moi. Nous avons un rapport fantastique. Comme enfants , nous ne nous sommes pas entendus
si bien, il est mon cadet de huit ans. A l'époque, il cassait tout. Et je me fâchais
follement. Aujourd'hui, nous composons ensemble. Sur mon nouveau CD notre pièce commune
est "Ballade". Mais avant tout , il est mon metteur en scène. Il met ma musique
en images, comme personne n'a encore pu le faire. Il éprouve exactement les mêmes choses
que moi, il connaît les images que j'ai dans la tête.
Vos enfants coopèrent-ils aussi ?
Marc a 23 ans et étudie assidûment
l'histoire de l'art. Il collectionne les musiques de film et écoute volontiers le
classique aux moments calmes. Pierre vient de réussir son bac, il va commencer maintenant
des études de droit. Il voudrait monter plus tard dans notre société. Quand il était
petit , il venait souvent pendant les vacances avec nous sur des tournées. Il aidait à
construire la scène, s'essayait au pupitre des éclairages. A dix ans il a joué de la musique
à une fête. Dix minutes après tous les Polonais dansaient. Il peut emporter un public.
Dans quelques années, il se souciera de mes contrats.
Cela ne vous fait pas mal que les deux n'ont appris aucun
instrument ?
J'ai donné aux deux des
leçons de violons, mais je ne voulais pas les contraindre. Marc attrapait toujours mal au
ventre quand nous devions joué, il devenait un peu mauvais. Quand petit Pierre est
arrivé, je lui cassais la tête avec le violon, c'était la fin définitive de la
carrière de violons de mes fils.
Comment cela se passe-t-il, quand vous allez avec les deux en ville ?
Fantastiquement. Alors, les filles
disent: "Regarde là, les trois Rieu". C'est amusant. Les deux ont un
rapport très sincère avec moi, ils me parlent de leurs soucis ainsi qu'à Marjorie.
Nous sommes une unité, restons le toujours !
Vous avez vous-même cinq frères et soeurs. Vous voyez
vous encore souvent ?
Avant, nous nous voyions plus
fréquemment, ce sont de beaux souvenirs. Nous ne sommes pas une famille très
"collante". Mes frères et soeurs sont mariés, ont des enfants et ne vivent
pas, sauf Jean-Philippe, à proximité de Maastricht. Mais on devrait se voir plus
souvent.
Y a t' il des discussions quand vous collaborez avec votre
frère ?
Nous avons des différends, mais à
la fin, je m'impose. Je suis le plus âgé, et l'ainé a toujours raison (rire) .
Peut-être, que si j'arrive à l'âge de 100 ans je serais toujours comme ça. Mais vieux,
ça, je ne deviendrais jamais.
Pensez vous parfois au fait de cesser ?
Je ne veux jamais cesser. Si je
devrais, par exemple, seulement prendre de longues vacances, j'en deviendrais
immédiatement malade. Maintenant, cela commence, en principe, seulement correctement.
J'ai acheté, juste à côté de mon studio son, un terrain. Là, je vais construire mon
propre studio de télévision. J'aurai même ma propre équipe d'opérateurs.

Que projetez-vous ?
Jean-Philippe et moi voulons ajouter
une grande série des CDs et DVD avec tout le classique.
Comment ? S'il vous plaît ? Quelle envolée ?
Oui, naturellement (rit
courageusement). Je sais, c'est gigantesque, un but de la vie. Mais je veux arriver à 120
ans. J'ai encore 70 ans devant moi. Dans quelques mois les travaux de construction
commencent. Mourir, je n'ai pas le temps !
Quels sont les plus beaux ou plus mauvais moments de votre
vie ?
Le plus mauvais, c'est la mort de mon
père André Rieu en 1992. Mes frères, ma mère et moi assis sur son lit de mort.
Mon père avait eu une crise d'apoplexie, depuis six mois il se trouvaient dans une sorte
de coma. Il pouvait seulement dodeliner de la tête et entendre, il souffrait
énormément. C'était terrible pour lui et pour nous. Je ne souhaite une telle mort,
lente et cruelle, à personne. Le plus difficile de cette situation, c'est que nous
étions tellement impuissants, nous ne pouvions rien faire pour lui. Nous vivions
continuellement dans l'espoir trompeur que, peut-être, cela s'ameliorerait.
Et le plus beau ?
La collaboration avec Jean-Philippe.
Je sais, notre père aurait apprécié. Maintenant, depuis deux ans, nous faisons cela. Je
suis reconnaissant pour chaque jour.
Que doit on écrire sur votre pierre tombale ?
Aucun pressentiment, à ce sujet, je
n'y ai vraiment encore jamais réfléchi . La mort est absente jusqu'ici pour moi. Je fais
tout toujours tout à fait spontanément. Si je monte sur scène et que Marjorie est à
proximité, je lui demande toujours : "que dois-je dire là maintenant, au public
?" Je n'écris jamais des textes d'annonce, j'improvise complètement.
Avez vous encore le trac ?
Je dirai plutôt : une nouvelle
tension apparaît toujours. Je connais bien mes gens sur scène, mais on frisonne chaque
fois. Nous voulons atteindre quelque chose en commun . C'est toujours comme une naissance.
Et si après cela les fans féminins crient hystériquement et envoient des
lettres avec des offres équivoques ?
Il y aura toujours des fans qui me
croient leur propriété. Mais dans tous mes fans , dix peut-être sont surprenants.
Steffi Graf a été poursuivie, par exemple, pendant de longues années par un idiot qui
voulait lui offrir sa Porsche et se marier avec elle. C'est terrible, mais on doit vivre
avec cela.

Interview : Jacqueline-Jane Bartels
Photos: Kowalski
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