Attention
vêpres ! Prière d'allumer vos feux !
Comme tous les dimanches, certains d'entre nous vont se
rendrent à la messe,
vérifiez bien que ce n'est pas André Rieu qui tient l'ensensoir !!!
Il y a des risques à ne pas prendre dans la vie !
... Je me demande
ce qui a bien pu nous prendre ce dimanche-là de proposer à André de se joindre à nous
pour aller servir les vêpres dominicales, dans la basilique de Maastricht
(avec"nous", je veux dire mon frère cadet Jean-Philippe, qui avait dix ans, et
moi-même. Ces vêpres étaient programmées à cinq heures et quart, mais
selon une vieille tradition on ne commençait jamais avant la demie. Jean-Philippe et moi
étions enfants de choeur diplômés, ayant reçu une formation professionnelle de
monsieur le curé, tandis qu'André était complètement néophyte; il ne savait même
passe se servir d'un encensoir.
D'où le problème ! Car André avait accepté notre invitation sous réserve de
pouvoir prendre la place de l'encensoir. En revanche, nous lui avions fais promettre de
suivre nos instructions à la lettre, de façon que personne parmi les fidèles ne puisse
se douter un instant que l'un des trois enfants de choeur était un imposteur.
Pendant
un bon moment tout alla très bien, et à quelques détails près, André suivit comme
convenu toutes nos directives. Il était impatient et piaffait dans son coin en attendant
le moment crucial et sacré où l'enfant de choeur élu et privilégié est censé se
rendre au milieu du grand transept de la basilique pour commencer ce que nous appelions en
jargon professionnel "l'échauffement". Insispensable à nos yeux, cette
opération consistait à attiser le feu dans l'encensoir en faisant des petits gestes
de va-et-vient à "chaînes courtes", en tenant l'objet comme un sac à
main de façon à produie un maximum de fumée au moment voulu.
D'ailleurs,
entre enfants de choeur, on se jugeait sur cette épreuve et un enfant de choeur confirmé
était capable de dégager un tel rideau de fumée qu'après le service, le bedeau devait
aller fermer les portes de l'église en s'aidant de torches antibrouillard. André, enfin
à son poste, préchauffait. Jean-Philippe l'autorisa soudain à enfumer à volonté.
Pendant un court instant, nous l'observâmes d'un oeil un peu septique, mais très vite
nous fûmes assurés d'être en face d'un encenseur surdoué, voire professionnel.
Dès lors, nous continuâmes nos propres tâches, tout en laissant André s'en
donner à coeur joie. Il travaillait dans le syle "tout doit disparaître". Plus
il enfumait, plus il avait l'air content et bientôt les rayons de soleil de ce beau
dimanche après midi firent place à cette espèce de fog étouffant que l'on trouve
d'habitude dans les pays miniers ou aux alentours des grands complexes industriels.
Monsieur le curé commençait à se frotter les yeux,. Jusqu'ici, Jean-Philippe et
moi n'étions guère étonnés, car nous savions par expérience qu'André ne faisait
jamais les choses à moitié; effectivement, l'autre moitié n'allait pas tarder à
apparaître.
La
situation dans l'assistance avait changé: la prière collective s'était transformée en
un énorme concert de toux, de raclements de gorge et de tapotements dans le dos pour ceux
qui avaient encore leurs facultés respiratoires, tandis que les moins chanceux se
laissaient béatement réanimer dans les absidioles par les boy-scouts qui avaient suivi
des stages de secourismes à la Croix-Rouge..."
"...Soit
André commençait à avoir des courbatures, soit il en avait tout simplement assez; en
tout cas, il décida d'arrêter son petit tour et de commencer les manoeuvres
d'atterissage. Mais c'est là que se cachait le piège pour quiconque voulait servir les
vêpres sans diiplôme ni formation, et ce fut un vrai désastre. Il était quasiment
impossible de piloter ce ventilateur sans danger.
A sa décharge, j'avoue humblement que; même pour un vieux routier de l'encensoir, il
s'agissait d'une épreuve délicate. Néanmoins, ce pauvre André avait envie d'en finir
et c'est alors que notre cher frère perdit, une fraction de seconde, le contrôle total
de la situation ! Au lieu d'attraper la chaîne de son encensoir d'un geste auguste
de jongleur; il rate son coup et fracasse l'objet antique à terre avec l'ardeur que nos
ancêtres auraient mise à frapper leur fléau sur les premières récoltes d'orges. Les
braises étaient à ses pieds et son encensoir argenté du XVe siècle fut transformé en
une grosse bosse d'une valeur inestimable. Ici se termina la carrière ecclésiastique
d'André..." Robert RIEU - Marseille, 1996
Extrait de
"André Rieu Ma musique, ma vie" de Marjorie Rieu, Edit. M. Lafont |